Sunday, November 12, 2006

Il est parti
4 novembre 2006
Ca y est, le frère de Sonam est parti. Parti dans la matinée, envolé l’après midi car ce jeudi était auspicieux. La famille de Sonam, relativement pauvre, ne pouvait se permettre d’attendre le prochain en veillée funéraire. Je suis donc allée rejoindre mes collègues au crématorium. En effet, au Bhoutan, pays Bouddhiste, on brûle les morts. Le crématorium comporte 4 parties. L’une crématorium moderne en panne jamais utilisé, l’autre que j’appellerai le bûcher, 5 cubes ouverts en ciment sous un auvent à 5 mètres du sol, 5 salles divisées en deux pour que les familles des défunts puissent cuisiner et accueillir les proches, la salle de prière de laquelle les moines lancent leurs incantations. Aucune personnalisation, aucun discours sur le mort juste des flammes dévorantes, des offrandes impersonnelles et l’odeur acre des corps qui brûlent à peine couverte par celle de l’encens.Je me suis demandée pendant quelques secondes où était actuellement les corps, sous le bûcher, à l’intérieur de la fondation en ciment. Puis les psalmodies enivrantes des moines, ont soufflé ces questions au loin. On reste là, avec mes collègues, sous les cendres, dans le froid, à regarder ces corps littéralement partir en fumée. Cette atmosphère hors du temps est juste ponctuée par les génuflexions de Sonam et de ses parents. Pas de larmes, cela retiendrait le corps du défunt sur terre. L’accompagner et le laisser partir. Comme partout au monde, on essaie de nous gaver de boissons chaudes et de nourriture en ce jour marqué par le deuil. J’ai toujours trouvé cela étrange ces rires autour d’un verre de vin ici d’ara (alcool de riz) alors que l’âme du défunt flotte toujours autour de nous. Lui montrer que nous continuons à vivre sans lui, que nous le laissons partir. Après nous être réchauffés à ce petit verre, nous retournons vers le froid, munis de menue monnaie. La tradition veut que nous fassions une offrande pour tous les défunts. En distribuant ces billets, nous laissons monter à la surface tous nos soucis pour que les défunts nous en débarrassent. Je n’ose pas trop regarder ces bûchers. Mais mon regard vagabonde et je suis soudain saisie par le doute. Cette bûche a une forme étrange. Je regarde en direction des autres bûchers pour voir s’il s’agit de moi ou d’un phénomène généralisé. Rien pour les deux premiers. Soulagée, je porte de nouveau mon regard sur le notre, le troisième. Cette bûche, au sommet du bûcher à une forme contondante réellement troublante. Mon regard poursuit son balayage. Et là aussi le trouble se répète mais il devient tellement évident que le doute n’est plus permis. Il s’agit vraiment d’une forme humaine noircie certes mais il n’empêche que ce corps nous regarde tous autant que nous sommes. Pauvres mortels. Ils nous surplombent avec tellement de force ces deux corps que certains de mes collègues se mettent à rire pour esquiver leur gêne. Le corps du voisin s’est maintenant hissé jusqu’aux hanches.Trop heureuse que le notre ne pointe que sa tête, je recentre mon regard sur nos flammes, sur notre perte. Cette tête noircie qui il y a quinze jours encore squattait avec ses potes dans un quelconque appart désaffecté. Il fait parti de ces victimes de la modernisation. L’attrait de la ville de sa soi-disant vie facile où l’on peut jouer aux jeux vidéo ou au billard, l’a détourné de l’exploitation agricole de ses parents. Ses parents ont essayé de le scolariser puis d’en faire un garde du corps. En vain. Cela faisait un an qu’il ne parlait plus qu’à sa sœur. Les parents agriculteurs, simples et innocents, comme disent mes collègues étaient incapables de faire face. Vivant au village au rythme des récoltes et des fêtes de la communauté, comment pouvaient-ils comprendre l’envie de devenir riche sans effort, les inégalités que l’on essaie de chasser à coup de drogue ? Une association « Rewa » ou rêve essaie d’aider ces jeunes à trouver leur voie. Elle est un peu débordée ces temps-ci. L’acharnement des hommes qui s’occupent du bûcher voisin me tire de ma rêverie. Apparemment, ils supportent encore moins bien que moi ce corps noir qui sort des flammes. Avec deux longs bâtons, ils essaient de lui faire reprendre sa place. En vain, le corps s’étire de plus en plus. Il ne veut pas disparaître cacher mais bien visible, comme si sa mort devait servir à éveiller la conscience de tous. Ils ont beau essayé de le faire rentrer dans le cadre, sous les bûches, rien n’y fait. Pauvre corps secoué comme un prunier, plus mal traité qu’un épouvantail, mais justement, il a épouvanté les gens chargés de prendre soin de lui. Ceux ci portés par les chants des moines ont perdu leurs repères, leur karma est oublié, ils ne pensent plus qu’à une chose faire disparaître ce corps qui leur rappelle leur faiblesse. Et oui, la modernité n’y a rien fait, au contraire. Ce n’est pas la télévision, ni les portables qui vous aident à vivre, encore moins pour ceux qui ne font qu’en rêver toute leur vie. L’envie n’a jamais conduit nulle part si ce n’est au malheur. Combien de moines l’ont écrit ? Ils s’acharnent sans plus aucune douceur maintenant. Il ne s’agit plus de bienséance mais de survie. Ils le briseraient en morceaux ce corps, pour échapper à leur destin. Mais ils ne le peuvent, car le feu l’a rendu dur et souple à la fois. Quelqu’un verse même sa bière sur le bûcher pour le faire ployer mais rien n’y fait. Seul le feu faiblit, rallongeant de quelques minutes la durée de vie de ce corps grotesque. C’est à ce moment là qu’un de mes collègues, me tire de mon hébétude et me propose de rentrer. La nuit est tombée. Il est probable que la cérémonie ne prenne fin qu’à minuit. Les cendres rejoindront la rivière sans moi. Il me demande si je vais bien. Apparemment je suis pâle. Oui je vais bien même si je dois reconnaître que cette incinération m’affecte plus qu’elle ne devrait considérant le faible lien qui me retient à cet être. Tous les morts se ressemblent. Les laisser partir, sans les oublier. Une chose que nous pourrions apprendre de la longue pratique de l’incinération du Bouddhiste. Même si on brûle les morts, on ne les ramène pas chez soi après. Il reste sur place, emportés directement par la rivière. Même si les cérémonies ne sont pas terminées, la famille est forcée peu à peu de se détacher du défunt, de faire son deuil. Les familles riches continueront en cérémonie jusqu’au 42ème jour suivant le décès. Les plus modestes, comme la famille de Sonam, se réuniront les 7, 14, 21 et 42ème jours, puis tous les ans, pour apprivoiser la mort.

2 novembre 2006
Il fait froid, c’est l’hiver. Il fait noir, c’est l’hiver. J’ai fait de mon mieux cette semaine pour positiver, ne pas rester toute la journée sous la couette à manger du chocolat pour chasser la mauvaise humeur. Je me suis levée un peu plus tôt que d’habitude pour pouvoir bénéficier de quelques rayons de soleil, je suis même allée au boulot à vélo toujours dans l’idée de doper mon taux de vitamine D. Mais BPC, entendez Bhutan Power Corporation s’est ligué contre nous. Pas d’électricité stable de toute la semaine. Pour le boulot, j’ai jonglé entre NLBP et la maison, mais pour le chauffage rien à faire. Les maisons ne sont pas isolées, les vitres étroites et peu jointives laissent le soleil dehors mais font la part belle au vent. Je superpose les pulls mais taper avec des gants, je n’ai pas encore réussi. Cette semaine m’a toutefois réservée une bonne surprise. Comme c’est l’hiver, qu’il fait nuit à 5h, bientôt 4h30, que les bureaux sont mal chauffés et que le Bhoutan se soucie du bonheur de ses citoyens nous réduisons nos horaires de travail pour les 4 mois à venir. Le bureau ferme à 4 heures. La bonne nouvelle est qu’enfin je vais avoir le temps d’écrire, écrire ce que j’ai appris ici, pour que les suivants n’aient pas tout à refaire.

24 octobre 2006
Pour passer à une note plus positive, dimanche matin à l’aube, j’ai gagné l’unique stade de Thimphu pour me lancer dans une course. Oh la la attention, rien d’extraordinaire ! A peine 5km. Un temps de merdre. 150 pelés. Mais une bonne cause et ma première course amateur à 2300 mètres d’altitude, entourée de Bhoutanais. Cela valait donc quand même le détour. Le réveil fut difficile. Soirée prolongée la veille. Lorsque le réveil m’a tiré des bras de Morphée je ne lui faisais pas la fête. Pas même besoin de mettre mon nez à la fenêtre pour me rendre compte que la pluie ruisselle sur le toit. La dernière de la saison paraît-il, celle qui recouvre les sommets de leur premier manteau blanc et abaisse la température. Ca y est, nous sommes en hiver ! Vive l’époque des polaires superposées et des doigts qui gèlent sur le clavier l’ordinateur. Ce sale temps ne laisse guère le loisir de faire autre chose que de courir quelques minutes dans les rues de Thimphu. Je me prépare donc. Vite fait. Il reste 20 min avant la fin des inscriptions. J’enfile mes fringues sales, me passe un coup d’eau sur le visage et me voilà partie. Je prends Michelle partenaire de course au passage. Nous prenons notre t-shirt et notre casquette, attachons notre numéro dans le dos et nous voilà fin prêtes. Ils nous faudra cependant attendre car ce sont les discours qui commencent à 8 heure, pas la course elle même… Le départ est enfin donné. C’est la précipitation pour partir le plus vite possible. Ne sachant pas trop à quoi m’attendre, je laisse passer ce flot empressé. Bien m’en a pris car ce qu’ils voulaient c’était partir vite ; après 500 m, le rythme avait nettement ralenti. Tant et si bien que j’ai commencé à grignoter du terrain. Je n’y croyais pas mais comme mes jambes me portaient je n’aillais les arrêter… Alors j’ai continué. Au cours d’un de mes dépassements je me suis trouvé un Bhoutanais qui m’a emboîté le pas. Il est musicien dans l’armée. Nous avons fait tout le trajet ensemble, échangeant sur nos vies respectives. Très sympa. On a même fait le sprint final ensemble. Il est arrivé 13ème, moi 12ème. Première fille. « Tu auras ta photo dans Kuensel -le journal local » me disait mon acolyte. Je commençais à réfléchir à un petit discours. C’était sans compter sur le fait que des Bhoutanais ne pouvaient accepter de donner les deux premiers prix féminins à deux étrangères Michelle et moi. Nous pouvons tout à fait comprendre. Nous cédons volontiers ces coupes à des Bhoutanaises qui pour certaines ont eu le mérite de faire la course en KIRA. Une simple mention aurait été la bienvenue cependant ; image de la coopération, de l’effort partagé en ce jour de lutte contre la pauvreté… Quoiqu’il en soit, la bonne ambiance du jour reste gravée dans ma mémoire. J’en redemande. Et puis, nous avons quand même été saluées par les représentants des ONG présentes. Bonne pub en ces périodes de vaches maigres.


23 octobre 2006
Relativiser, toujours. Lorsque la santé est là, que la famille et les amis vous entourent, tout va bien. Vendredi, alors que je me demandais comment faire passer la mauvaise nouvelle de ma non extension, je me suis fait rattrapée par une autre. Le frère de ma collègue s’est fait tabassé. Les flics l’ont retrouvé dans le coma vers une heure du mat et son état n’a pas changé depuis. Ma nouvelle n’est donc pas passée inaperçue mais presque. Le sens des priorités remis en tête, je suis allée voir Sonam et son frère à l’hôpital. Si l’hôpital est par nature un endroit déprimant, au Bhoutan il est lugubre. La santé y est gratuite pour tous mais il ne faut pas être top regardant vis à vis des soins prodigués. Toute maladie bénigne de l’angine à la gastroentérite en passant par la grippe y est traitée au paracétamol. Ce n’est pas génial mais une fois que l’on a compris, on ne perd pas son temps en heures d’attente et l’on se soigne soi-même. Là où cela se corse c’est lorsque vous avez quelque chose de sérieux. Plus vous êtes loin de la capitale pire c’est. La majorité des autres unités hospitalières n’ont pas de service de chirurgie. Donc si vous avez une crise d’appendicite au nord du Pays, il vous faut de 9 à 24 heures de routes sinueuses et cahoteuses pour rejoindre le bloc opératoire le plus proche. Si vous faites parti du 1/3 de la population qui vit de 4 heures et à 10 jours de marche de la route la plus proche, n’y compter même pas, vous êtes mort. Si vous avez pu rejoindre Thimphu, d’autres challenges vous attendent. Les chirurgiens étant rares, les urgences ont intérêt à être relatives. Si vous avez finalement eu la chance de tomber sur un chirurgien spécialiste de votre problème, que votre opération s’est bien passée, il vous faut encore parcourir 500m pour regagner votre chambre. Sur votre lit roulant, à ciel ouvert, qu’il pleuve, vente ou neige, vous traversez le long parking aux yeux de tous. Vous me direz peut-être que vous ne sentez rien car vous êtes toujours endormi. Endormi, vous priez pour le rester le plus longtemps possible car ce qui vous attend ensuite n’est guère réjouissant. Traitement de la douleur quasi inexistant ; vous souffrez sur votre lit sans intimité ni fenêtre. Chambres collectives de 3 à 12 patients, puantes, sales, bruyantes. Si vous en avez l’énergie, vous vous rétablirez au plus vite sinon, gare aux maladies nosocomiales. J’avais déjà eu un aperçu de cet enfer l’année dernière puisque ici la coutume veut que tout le bureau se déplace pour rendre visite à un parent même éloigné de ses collègues. Si l’idée peut paraître réjouissante 5 min, on quitte le boulot plus tôt, on se cotise pour acheter des confiseries pour le convalescent (paquet de corn-flakes, pack de lait, lampe à beurre), elle est très vite ternie par la réalité déprimante de ces couloirs surpeuplés. Ici, les familles se relaient pour suppléer aux infirmières débordées, nettoient, nourrissent et accompagnent le malade dans son sommeil. Imaginez une chambre sans rideau de séparation avec 12 lits espacés d’un mètre maximum, peuplée de matelas, de thermos de thé, de sauce piment, parfumée à la noix de bétel. Vous espérez ne jamais tomber malade. Même donner naissance est ici un acte collectif. Six lits dans la salle d’accouchement. 12 dans la salle de convalescence. Et là encore la famille est nécessaire pour suppléer à l’unique sage femme de service. Vendredi, je suis donc allée à l’hôpital. Heureusement une autre collègue est venue avec moi. Sans elle je ne serai jamais parvenue à trouver dans ce dédale la salle des soins intensifs. Là encore, le manque de moyen est criant. Deux pièces, 5 lits dans l’une, les familles respectives qui s’entassent dans l’autre. Les seules formalités à remplir pour passer dans le bloc, mettre une blouse rose et ôter ses souliers. Je le fais à la demande de Sonam. Je m’en serais bien passé, je ne connais pas son frère mais elle souhaite que je l’accompagne dans cette épreuve. Ma gorge se noue. Une autre pièce aux murs jaunis, sans fenêtre, meublé de l’assourdissant vrombissement des respirateurs. 5 corps sans vie si ce n’est le soubresaut régulier causé par l’afflux d’air. 5 vies coupées dans leur élan par une autre main humaine. A l’image du frère de Sonam sorti un jeudi soir pour jouer au billard, les quatre autres inconscients ont été victimes d’agression. Je vous passe les détails mais le frère de Sonam a été tabassé à l’aide de battes de baseball. Tout sur la tête. Méconnaissable. Que s’est il passé ? Pari perdu ? Problème de drogue ? Ce qui est sur c’est qu’il fait parti des victimes d’une société qui change vite, trop vite, et perd ses repères. Une société qui se croit tellement préservée qu’elle a du mal à faire face à ces nouveaux problèmes de délinquance urbaine. Plus on vit près du ciel, plus la chute est dure disaient avec raison certains. Nous saurons demain s’il a une chance même minime d’atterrir.

17 octobre 2006
La réponse est non. Pas d’extension de mon contrat. La France arrête en plein élan des projets qui tournent pour faire venir quelqu’un neuf qui devra d’abord se familiariser avec le contexte et les acteurs… C’est comme cela depuis 4 ans et à chaque fois on retourne quasiment à la case départ. Forcément sans tuilage ni encadrement sur place… Ce sont les partenaires bhoutanais qui vont être contents. Pour une fois qu’ils croyaient être près du but avec un programme et des résultats en cours et à venir, il faut leur dire que non. Il me reste trois mois, y compris 3 semaines de vacances. Avec cela je suis sensée clore les projets, recruter quelqu’un pour prendre ma suite et penser à mon futur. Car en tant que volontaire, je n’ai pas le droit au Assedic après deux ans de bons et loyaux services. J’étais bien payée à faire le boulot qui me plait, je ne vais pas me plaindre mais tout de même. J’aurais bien aimé finir mon travail correctement. J’avais aussi des projets de thèse qui maintenant volent en éclats. Je n’ai pas assez de données, il me faudrait plus de temps. Ce temps peut-être que je vais parvenir à me l’acheter en travaillant pour les services marketing du ministère de l’agriculture bhoutanais. Mais ce n’est même pas sur. Nous sommes nombreux à être prêts à travailler pour des salaires de misère ou même sans salaire… Il faut laisser sa chance aux autres, peut-être. En tout cas maintenant, je suis au pied du mur. Il faut que je pense à mon avenir professionnel et affectif.

16 octobre 2006
Une semaine que je suis rentrée au Bhoutan. Certaines choses ont changé d’autres pas. Le coq a toujours la langue bien pendue mais il est possible qu’il fasse sa part de travail. S’il réussit à organiser le travail au National Livestock Breeding Programme, peut-être parviendrais-je à tolérer ses prises de parole intempestives, toujours promptes à rabaisser le travail des autres dans l’optique de se faire valoir. Avec un peu de chance j’arriverais à lui faire comprendre que le respect de ses collègues et leur travail, la critique constructive plutôt que destructive peuvent permettre d’augmenter le bien être et l’efficacité de l’équipe… Le retour de notre coq a également eu le mérite de me démontrer que la hiérarchie ne fait pas tout, avoir une certaine aptitude à la réflexion et une aptitude au verbe aide à franchir les barrières sociales. Notre coq, malgré ses origines népali, risque en effet de remodeler en profondeur l’échiquier de notre bureau. Anciens et nouveaux n’ont qu’à bien se tenir. Dr Lham Tshering le chef du programme a intérêt à faire valoir sa position de boss s’il veut la garder et Dr Dorji à ne pas rester trop silencieux au risque de prendre la poussière accroché à son bureau sans perspective d’évolution. Les Bhoutanais sont toujours aussi peu soucieux de la charge de travail des gens qui bossent. « User les jusqu’à la mœlle ! Les volontaires pour travailler dans notre pays merveilleux sont nombreux. » Après avoir passé une bonne partie de mes vacances à organiser un voyage d’étude pour mes très chers boss +1 (eh oui, je suis parvenue à impliquer la relève !), ils me bombardent de nouveau de missions que je ne peux accomplir à moins de me couper en deux ou de travailler jour et nuit. Le trajet ne m’aide pas non plus. J’espérais que les ponts qui relient les petits morceaux de route à deux voies qui nous servent ici d’autoroute seraient achevés à mon retour. Peine perdue. Je vais toujours me coltiner les bouchons matin et soir sur ce petit pont en bois « une voiture à la fois ». Une autre constante, l’oxygène est toujours aussi rare à 2300 m d’altitude et j’ai perdue l’habitude… Si bien que je m’époumone sur mon vélo ou dans mes baskets… Mais comme le soleil est de retour, je reprends le chemin de la forme avec plaisir. Le parcours du combattant que constitue ici le shopping m’enchante un peu moins. Une résolution de rentrée cependant : plus d’errance dominicale dans ces boutiques fourre-tout. Les courses se feront en semaine et non le week-end. Ce dernier je me le garde pour d’autres vraies réjouissances. Inviter des amis à la maison, passer du temps avec mes collègues, apprendre à les connaître. Je ferai ainsi peut-être plus qu’effleurer les apparences.

12 octobre 2006
Entre la France et le Bhoutan j’ai fait une étape indienne. Transition dans deux domaines au moins, confort matériel et environnement social. Plusieurs fois en France on m’a demandé comment c’était de vivre au Bhoutan. Plutôt tranquille comme lieu d’expatriation. Je suis à la capitale, je bénéficie d’eau et d’électricité relativement courantes, Internet à la maison, des fruits et légumes à profusion sauf pendant les 4 mois d’hiver où il faut se contenter de patates, choux et pommes ratatinées, j’aime la montagne et les randos suffisent à me distraire. Non, ce qui manque là bas, n’est pas matériel, n’a pas de prix, les discussions entre amis. Des amis je n’en ai pas vraiment. Les expats virevoltent ou sont plus âgés. J’ai des connaissances avec qui je fais des choses, souvent de façon fragmentée : déjeuner au travail avec certains, sorties en boite avec d’autres, sport de temps en temps. Personne que je connaisse complètement, personne qui me connaisse entièrement. C’est donc avec plaisir que j’ai retrouvé mes collègues indiens et expatriés français. Vivek qui après sa thèse en océanographie et plusieurs post doc à l’étranger a atterri là car les salaires y sont moins déprimants que dans la fonction publique indienne, Jathinder qui s’arrache les cheveux à essayer d’initier les conseillers aux finesses de la culture indienne, Sandie la nouvelle attachée scientifique diplômée en aéronautique qui fait ses premiers pas seule en Inde après l’avoir aperçue de ses fenêtres de 4 étoiles lors de précédents voyages d’affaire ; même le conseiller scientifique est de bonne compagnie. Avec eux je peux parler de politique de développement, des joies et difficultés de la vie de couple, de lecture, d’apprentissage. Cela me change de « Qu’est ce que tu as fait la semaine dernière ? Rien ; lever, prière, boulot, dîner, soap ou sport à la télé, prière, coucher ». Ce ne sont probablement que des paroles d’ignare, un aveu d’échec, mais je dois bien reconnaître que les bhoutanais d’abord plutôt facile, ne m’ont pas laissé percer leur carapace, partager leurs pensées. La transition fut aussi celle du train de vie, de l’abondance ouverte à l’abondance derrière des barreaux de privilégiée. 4*4 climatisés alors qu’il ne fait plus que 35 °C dehors, amphithéâtre de luxe, grands apparts climatisés eux aussi, séminaire en hôtel de charme, chambre unique, plongeon dans la piscine avant un petit dej digne d’une maharani (normal nous étions dans un ancien fort)… Et puis la dernière marche, dernière nuit dans un hôtel bon marché (cette fois l’Ambassade ne payait pas). Chambre avec télé mais sans fenêtre, salle de bain inondée et des employés qui espèrent se glisser dans ce lit solitaire. Ouf, demain je regagne mes montagnes tranquilles. Qu’est il sorti de cette semaine entre deux mondes ? Que l’année prochaine, il y aura du budget pour la coopération franco bhoutanaise mais qu’il est probable que je n’en bénéficie pas… Succès de ces 4 jours, car il faut bien terminer sur une note positive, je suis parvenue à les convaincre de proposer mon extension auprès du Ministère des Affaires étrangères. Non, ce n’est pas qu’une question d’épanouissement personnel ! Il est tout de même plus censé de laisser à la même personne le soin de finir les projets engagés, que de faire venir quelqu’un de neuf qui, sans tuilage ni institution sur place, passera plus de 6 mois à comprendre le contexte et à établir des relations de travail efficaces !


0 Comments:

Post a Comment

<< Home