Wednesday, April 11, 2007

Collaboration délicate
11 avril 2007
Les raisons de l’envoi d’expatriés dans un pays en voie de développement sont multiples : expertise, aide à la décision mais aussi développement des ressources humaines. L’idée est de bosser en étroite collaboration avec un partenaire local de façon à le former et à développer son autonomie vis-à-vis des activités initiées.
Lorsque je travaillais au National Livestock Breeding Programme, il n’y avait personne avec un niveau technique et une capacité d’initiative suffisants pour collaborer à la conception du projet. Après avoir aidé les techniciens du NLBP à expliciter leurs attentes, il a donc fallu que je développe des procédures très simples pour l’identification et l’enregistrement des performances bovines de façon à ce qu’ils puissent être autonomes vis à vis de l’utilisation du système d’information bovin. Le retour, après son master, de notre coq français m’a finalement permis de lui passer le relais sur le volet développement. Si bien que le programme d’élevage bovin devrait maintenant pouvoir voler de ses propres ailes.
Cette année, je ne sais si je parviendrai à quelque chose sur le plan de la formation. La rareté du personnel qualifié ou tout simplement motivé se fait encore sentir… Je suis sensée travailler avec TN du département d’élevage. Or, ce dernier a un sens particulier de la collaboration… La seule chose à laquelle il daigne consacrer du temps, c’est le budget.
Il souhaite en effet faire des économies sur la phase de terrain, pour pouvoir s’acheter un ordinateur portable… Pas besoin de rencontrer les éleveurs de yak. Ils sont trop isolés. De 2 à 6 jours de marche de la route la plus proche, vous imaginez ! Autant demander au technicien d’élevage du coin d’aller collecter les données pour nous. Seulement voilà, il y a une différence entre collecter des données et engager un discussion avec un éleveur, poser des questions ouvertes qui lui permettent de s’exprimer, de décrire ses pratiques, sa stratégie économique, ses contraintes. L’attitude de l’enquêteur et la manière de formaliser les questions sont essentielles… Essentielles pour établir une relation de confiance et s’assurer de la qualité de l’information recueillie mais aussi, pour aider les acteurs concernés à résoudre, en les rendant intelligibles, les difficultés auxquelles ils sont confrontés. Ce travail d’enquête éclaire la rationalité des pratiques, conduit à une compréhension fine des systèmes de production dans leur fonctionnement technique mais aussi de leurs performances socio-économiques. Permettant de modéliser et d’anticiper l’évolution des systèmes face à un changement de contexte politico-économique, le travail de terrain est nécessaire à la formulation de projets de développement adaptés.
Plus largement, mon ami TN ne souhaite pas s’impliquer dans le travail d’analyse filière car je suis là pour le faire. Si nous, expats, sommes là, ce n’est pas parce notre regard extérieur, nos savoir-faire et connaissances sont requis mais parce que le temps manque. Il est vrai que les quelques personnes du département ayant fait des études supérieures se voient confier des tâches administratives qui ne leur laissent guère de temps pour leur travail technique. Que nous soyons là pour les aider à gagner du temps est un fait ; pour tout faire, non. Sinon, où réside l’apprentissage, l’échange de savoir ? Cette semaine nous étions de séminaire. Mon très cher TN, non content d’arriver en retard tous les jours et de se perdre dans les couloirs à chaque pause thé, n’a pas daigné mettre la main à la pâte. Préparer des questionnaires est une tâche indigne d’un Fonctionnaire de la Capitale… Le summum a été atteint dans la phase de travail en groupe restreint. Il s’est battu avec les autres groupes pour obtenir la date de son choix, l’a obtenue mais, n’a pas travaillé avec nous de la journée !
Il parait que le cinquième roi veut faire de la lutte contre la complaisance envers la médiocrité une des priorités du gouvernement pour les 15 ans à venir. A suivre.
Argent
1 avril 2007
Sangay est une amie du taekwondo. Amie au sens où nous nous connaissons relativement bien vu que je l’ai rencontrée une semaine à peine après mon arrivée au Bhoutan et que, lorsque je suis sur Thimphu, nous nous entraînons ensemble 2-3 fois par semaine. Bien que du même âge, nous avons des vies bien différentes. Membre de l’équipe nationale de taekwondo pendant 5 ans, elle a gagné plusieurs médailles et visité de nombreux pays. Maintenant, elle se retrouve sans emploi avec pour tout bagage son bac littéraire. N’ayant pas eu de notes suffisamment élevées pour obtenir une bourse pour la seule université bhoutanaise, Sherubse collège dans l’est du pays, et n’ayant pas les moyens d’aller étudier en Inde, elle végète à la recherche d’un boulot sur Thimphu. Elle passe beaucoup de temps devant la télé ou à préparer les repas de son homme. L’entraînement est donc, pour elle comme pour moi, une soupape. Elle refuse d’ailleurs que je l’aide financièrement pour tous les conseils techniques qu’elle me donne. Elle me ramène même du riz rouge de son village.
Cependant, hier, elle m’a contactée car son frère qui va rentrer au Monastère de Tango, école supérieure d’études monastiques la plus réputée du Bhoutan, a besoin d’argent pour faire ses achats de rentrée à Phuentsholing (ville frontalière avec l’Inde, hub commercial du sud du pays). Elle m’a contacté la veille du jour J pour me demander 5000 Nu, un peu moins de 100 euros, que son frère me redonnerait d’ici un mois. D’une, je n’avais pas cette somme en poche (le Bhoutan est dépourvu de distributeur et les banques sont fermées le week-end), de deux je ne savais pas si je devais la donner. Donner de l’argent quand tu es blanc et donc considéré comme riche c’est prendre le risque de ne jamais le revoir, et surtout de s’enfermer dans une sale relation marchande avec ses ‘amis’ bhoutanais. Ne pas aider ses amis dans le besoin n’est tout de même pas glorieux. Je lui ai donc remis la moitié de la somme, sans espérer la revoir. Si l’argent ne revient pas se sera la dernière fois, sinon notre relation de confiance aura gagné une dimension supplémentaire… et je ferais volontiers don de la moitié de cette somme.
Retour
30 mars 2007
Alors, que fais-je de nouveau dans ce pays ? A part me faire apporter de la soupe au lit par des collègues attentionnés !
Je suis de retour au Bhoutan pour 7 mois. Comme le gouvernement français ne pouvait se permettre de me financer pour finir le travail engagé sur le développement du secteur laitier bhoutanais, j’ai dû trouver un autre bailleur. La FAO, organisation des Nations Unies pour l’Agriculture et l’Alimentation a donc accepté de financer ce petit projet. L’objectif est de valoriser l’analyse des filières laitières bhoutanaises conduite l’année dernière par une aide à la décision à destination du Ministère (mesures politiques) et des autres bailleurs - à gros budget ceux là (mise en œuvre de projets). L’idée est en effet de permettre aux éleveurs de bénéficier de l’opportunité que représente la croissance de la population urbaine et de la demande solvable en produits laitiers qu’elle génère.
Le travail n’est pas mince. Le Bhoutan est un pays de montagne peu densément peuplé ce qui occasionne des coûts de transport et de transaction élevés et rend difficile l’obtention d’une masse critique de produits. En outre, fermé au reste du monde jusque dans les années 60, le pays n’a commencé à moderniser son agriculture que très récemment ; production laitière et transformation restent manuelles, caractérisées par une faible productivité du travail ; ce qui ne favorise pas la compétition avec les importations indiennes. L’Inde, pays densément peuplé (large bassin de production mais aussi de consommation ce qui permet de rentabiliser des investissements lourds et de faire des économies d’échelle) avec d’abondants résidus de culture pour nourrir le bétail a entrepris, depuis son indépendance, une véritable révolution blanche qui lui a permis de se hisser au rang de premier producteur mondial. L’Inde commence même à exporter les produits de son industrie laitière dans les pays voisins. Le Bhoutan lié par un accord de libre échange avec l’Inde (ce qui signifie que les produits indiens peuvent entrer au Bhoutan sans droits de douane, sans être taxés) en est destinataire. Le principal marché de consommation qu’est Thimphu se retrouve donc dans une situation paradoxale où malgré une préférence gustative pour les produits locaux, la part des importations de produits indiens industriels, standardisés et bon marché croit de façon exponentielle. A nous d’aider les éleveurs à s’organiser pour accroître la disponibilité de leurs produits et leur consistance de façon à conserver ce marché local.
Cette année, je vais aussi travailler avec les éleveurs de yak dont les systèmes de production sont encore plus fragilisés par l’ouverture du pays aux échanges mondialisés. Nomades, se déplaçant avec leurs troupeaux sur les terres alpines à plus de 3500 mètres d’altitude, à plusieurs jours de marche de la route la plus proche, pratiquant le troc de leurs produits animaux contre des céréales pour compléter leur ration alimentaire, ils vivent à mille lieues du Bhoutan moderne que représente la capitale. Pour combien de temps ?

Amibe
22 mars 2007
Voilà le nom de ce charmant protozoaire qui me pollue la vie depuis dimanche.
De taille variant entre 20 µm et 1 mm de longueur (mais plus généralement entre 200 µm et 500 µm), vivant en eaux douces ou salées, capable de se déplacer par de multiples déformations du cytosquelette appelés pseudopodes, elle peut aussi s’équiper de flagelles pour assurer sa mobilité.

La mienne, c’est à priori Entamoeba histolytica responsable de dysenterie amibienne dans les milieux tropicaux. Je dis bien à priori car les hôpitaux étant ce qu’ils sont ici je me porte mieux sans. Mais comme il n’y a pas non plus de médecin en dehors et bien je me suis référée à une vétérinaire française en escale ici depuis 7 ans qui a fait vœu d’améliorer les conditions de vie de nos amis quadrupèdes. Comme elle est généreuse et qu’elle ne déteste pas complètement les hommes, elle m’a aidé à diagnostiquer ce mal qui me cloue au lit depuis 4 jours. Les chats et les humains, du pareil au même. Fièvre et diarrhée fulgurante, le tout auréolé de hauts le cœur pimentés aux œufs pourris, je ne vous raconte pas le désastre. Normal entamoeba vous lyse les cellules de la paroi de l’intestin…

Vous le comprendrez aisément, je suis au mieux de ma forme, plus sexy que jamais. Au moins maintenant je sais ce que j’ai et je vais pouvoir me soigner au lieu de continuer à me vider. Ces parasites ont ceci de fascinant qu’ils vous privent de toute énergie et de toute envie. Je n’ai même plus soif. Imaginez moi qui boit comme un trou d’habitude (Je parle d’eau bien sûr…). Mais ne vous inquiétez pas, je me force…

Quand à savoir où j’ai choppé cela ? Allez savoir ! Les amibes peuvent rester jusqu’à 6 ans chez leur hôte (moi dans le cas décrit ici) avant de se manifester… Au Cameroun, en Inde, en Thaïlande, au Bhoutan lors de mes terrains ou à la faveur d’un verre mal lavé. A force de n’avoir rien eu jusque là j’avais presque cru que le Bhoutan c’était aussi sûr qu’à la maison.

Enfin rien de grave, on se soigne et cela repart.
Juste pour vous / me rappeler que, travailler à l’étranger ne présente pas que des attraits…

Toucher terre
15 mars 2007
Enfin me voilà un peu posée.
Non pas que votre compagnie en France ne fut pas plaisante mais il me tardait de savoir de quoi mon futur serait fait. Cette incertitude fut désagréable sur bien des points. Tout d’abord elle ne m’a pas permis de prendre de vacances ; pas de repos, ni de visite vivifiante en Province. Pardon à ceux à qui je n’ai pu encore rendre visite cette fois-ci. Ensuite ce temps sans amarre entre deux projets m’a conduit à me poser beaucoup de questions sur ce que je voulais faire de ma vie. Ce qui avait un sens au Bhoutan n’en avait plus forcément sur le pavé parisien. Faire une thèse ; ah vraiment ! Mais pourquoi ? Comment vas tu vivre pendant ce temps là ? Contrairement à la tradition anglo-saxonne, en France, il est de bon ton d’avoir fini ses études avant la trentaine ; quelques années de plus et, de toute façon, vous ne serez plus bonne à l’emploi. Nébuleuse du doute encore car le lien entre mon vécu bhoutanais et la vie en France est bien ténu. Est ce que mes acquis du toit du monde ont un sens dans notre hexagone ? Cet intermède français m’a au moins confirmé la nécessité de préparer mon retour. J’ai 7 mois pour le faire.
Le retour vers ces terres perchées ne fut pas non plus de tout repos. J’avais pris un vol via Delhi pour faire des économies; et ce, même s’il n’y a de vols Delhi – Paro que 3 fois par semaine. L’aéroport de Delhi est tellement désagréable que j’ai accentué le risque en prenant une correspondance de 2h30 seulement.Ces risques, je n’en ai vraiment pris conscience qu’à l’aéroport. British Airways a failli refuser de me prendre à son bord. J’allais à Delhi mais je n’avais en effet pas de visa indien. J’avais bien mon visa bhoutanais mais comme personne ne connaît le Bhoutan… Je me voyais déjà avoir à faire demi tour et à engager de nouvelles dépenses pour mon départ. Ils ont fini par me laisser passer à condition que je signe un formulaire les déchargeant de toute responsabilité. Je suis monté à bord, un soupçon d’angoisse dans le coin de la gorge. Comment allais-je bien pouvoir faire pour éditer mon billet Delhi- Paro sans sortir de la zone neutre de l’aéroport? Ces abrutis m’ont d’autant plus fait peur que je sais que les indiens ne rigolent pas avec ce genre de chose. Une sombre image de forces de l’ordre et de prison commençait à poindre dans un coin de ma tête.
Pour le vol suivant, Londres - Delhi, personne ne m’a demandé quoi que ce soit et je me suis peu à peu rassérénée. En outre nous avons embarqué à l’heure, tout se présentait donc plutôt bien. Dans le pire des cas, je pourrais demander à ce couple de français de faire éditer le billet pour moi. L’avion se fraye un chemin vers la piste de décollage. Casque sur les oreilles je me prépare à apprécier ce temps suspendu. Mais voilà, au lieu de prendre de la vitesse, l’avion ralentit peu à peu et finit par s’immobiliser. Après une demi-heure à nous demander ce qu’il s’était passé, nous apprenons que quelqu’un à bord s’est senti mal et devait donc être ramené à terre. Cela ne devrait pas prendre trop de temps, nous susurrent les hôtesses de l’air. Sauf, qu’elles n’avaient pas calculé le temps de recherche et de déchargement des bagages. Trois heures plus tard, nous étions toujours à Londres et je commençais sérieusement à me demander si je ne devais pas demander, moi aussi, à sortir de l’avion. Si je rate ma correspondance, ce n’est pas un mauvais quart d’heure que je vais passer à Delhi ! Le prochain vol est dans 3 jours et je n’ai pas de visa indien!
Le steewart tente de me calmer avec un verre d’eau. Rien n’y fait. Il se met en quête du commandant de bord. Notre itinéraire a été raccourci de 30 minutes et l’avion parvient toujours à rattraper du temps en vol.
Voilà qui est sensé m’apaiser. Je leur fais cependant remarquer que leurs calculs restent plus que justes. Ne pouvant prendre le risque d’accroître leur retard en me sortant de l’avion, ils m’affirment qu’ils feront le nécessaire à Delhi. Je n’ai d’autre option que d’accepter ; en espérant que maintenant, en cas de problème, la faute et, donc la couverture financière des frais, leur reviendra. Je me force à me reposer dans le noir avec de la musique. Il ne faut pas que je sois complètement hystérique demain pour négocier avec les douanes.
Au final, nous avons rattrapé près d’une demi heure en vol si bien que j’ai eu le temps de courir prendre l’autre avion. L’avantage, c’est que du coup, c’est le personnel de BA qui s’est chargé d’aller éditer mon billet ; l’inconvénient, c’est que mes bagages n’ont pas eu le temps de prendre leur envol. 4 jours à jongler sans rechange ni trousse de toilette, c’est sympa ! Sans compter l’incertitude quant à l’arrivée du reste…
Que je vous rassure, tout a fini par rentrer dans l’ordre. Ou presque. D’autres aventures m’attendent maintenant; obtenir un bureau, récupérer des sous, faire marcher la machine à laver…

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