Tuesday, July 17, 2007

Sourire retrouvé
5 juillet 2007
Je ne sais ce qui leur est arrivé pendant la nuit mais, aujourd’hui, j’ai de nouveau eu le sentiment de faire partie de la maison.
On m’a apporté la lettre signée à 10 heures. 6 personnes du département vont donc commencer à saisir les données à partir de lundi. Mieux vaut tard que jamais.
Le second aux commandes a finalement desserré les dents. Il est venu voir le demi bureau que j’utilise et m’a demandé si je ne trouvais pas cela un peu étouffant. A votre avis… Il est désolé m’a- t- il dit. Il est parti… et revenu avec deux collègues. Ils ont déplacé le photocopieur et les cartons qui occupaient la majorité de l’espace qui m’était alloué. Je peux enfin me déplier. Ouahh! Bien sur, le gars dont je partage le bureau, qu’ils n’ont pas cru bon d’informer avant, a un peu tiré la tronche… Mais cela lui est passé.
Le directeur est même venu blagué dans mon bureau.
Et puis je pars demain pour Paro pour former les techniciens pour qu’ils réalisent les dernières enquêtes «lait de vache». Ils m’ont trouvé une voiture et tout…
J’avoue que je ne comprends pas. Est ce qu’ils ont senti que je n’encaisserai plus? Est ce qu’ils avaient besoin de se réhabituer à ma présence ?



Ubuesque
5 juillet 2007
Depuis le début de la semaine, j’attends une signature pour pouvoir commencer la saisie des données collectées sur le terrain.
J’ai besoin d’une signature du département d’élevage (DoL) pour mobiliser le personnel requis pour la saisie. Le DoL a en effet choisi de tout faire en interne malgré les dépenses élevées que cela implique ; toutes les autres équipes impliquées dans le projet filière de la FAO ont fait appel à du personnel extérieur payé en tout et pour tout 300 Nu par jour…
Le directeur a annoncé hier qu’il ne voyait pas pourquoi il signerait alors qu’il n’a jamais entendu parler de ce projet…C’est tout de même lui qui a signé tous les documents jusque là…
Je n’avais plus de bureau, je n’ai maintenant plus de reconnaissance officielle. Il y a des jours où l’on se demande vraiment ce que l’on fait si loin de chez soi…



TA mon amour
4 juillet 2007
TA ou Travel Allowance, ces indemnités de déplacement dont les bhoutanais raffolent. Elles sont constituées de deux composantes dont le montant varie avec le grade du personnel : indemnités journalières (DSA) et indemnités de transport (bus, indemnité kilométrique ou chevaux et porteurs selon les cas). Jusque là, rien de plus normal. C’est la manière dont mes collègues en usent et en abusent qui est effrayante. Je suis désolée de commencer par là le récit de mes deux mois de terrain mais je me suis prise une autre douche froide à la sauce TA aujourd’hui alors je vous mets au parfum. Les fleurs attendront un peu, le Bhoutan n’est pas tout rose, il faut bien qu’il assume.
Les surprises ont commencé avec le premier terrain à Ha. J’avais choisi Ha comme premier terrain et ce, malgré le fait que c’est une des régions les plus secrètes du Bhoutan, car les éleveurs de yak étaient encore dans la vallée ce qui nous permettait d’optimiser le nombre d’interviews en un temps et budget limité. C’était sans compter sur la rapacité de mes collègues qui ont demandé des « TA lourds » avec chevaux et porteurs bien que nous n’en ayons utilisés aucun… le plus comique est que les techniciens de Ha n’étaient qu’à une demi heure de route de chez eux…
Second terrain, seconde surprise. Lingzhi, officiellement 5 jours de marche depuis Thimphu, nous avons atteint la destination en trois. Mes collègues ont tout de même fait en sorte de modifier la réalité de nos journées pour s’assurer un nombre maximum de TA, jusqu’au double pour le technicien de Lingzhi qui ne faisait, après tout, que travailler sur son district…
Le troisième terrain a confirmé ce triste appétit. Les techniciens de Merak et Sakteng, non contents d’être incompétents et paresseux, de passer leurs nuits à boire et à courir les jupons, de jouer aux cartes plutôt que de faire des enquêtes, ont demandé, eux aussi, des indemnités correspondant au double du nombre de jours passés ensemble… sauf que cette fois le terrain n’est qu’à une journée de marche de la route… Ils ont même demandé des indemnités pour une journée de préparation sur Trashigang, alors que nous les avions attendus en vain ce jour là… Sans gêne… je suis parvenue à dessaler un peu leur note mais pas encore suffisamment à mon goût.
A Bumthang la surprise fut liée non au nombre de jour - nous nous étions mis d’abord avant le départ- mais au montant des TA. Le budget, validé par mes collègues du département, mentionnait une indemnité journalière de 700 Nu (14 euros) pour les techniciens de terrain. A Bumthang ils m’ont demandé 1400 Nu par jour… Je ne sais pas qui était de plus mauvaise foi : les techniciens ou mon collègue de Thimphu qui m’avait soigneusement caché que les agents de terrain pourvaient prétendre à des indemnités journalières élevées. La hausse du prix des chevaux et porteurs avec effet immédiat y était aussi pour quelque chose. Quoiqu’il en soit, cette annonce m’a prise au dépourvu et j’ai dû ratisser fonds de tiroirs, professionnels et perso pour satisfaire la demande…
Une fois payé tout le personnel mobilisé pour les enquêtes, je pensais que mes maux de tête DSA allaient prendre fin. C’était sans compter sur la créativité de mes collègues. Un « boss » avait besoin d’arrondir sa fin de mois, il m’a donc inventé le « DSA fantôme », terrain depuis son bureau, financé aux frais de la princesse… J’ai refusé. Je ne saurai jamais cependant s’il est parvenu à le faire dans mon dos ou pas.Et dire que moi, qui ne touche pas de DSA, j’ai réglé un nombre bien trop élevé d’additions d’hôtel ou de restaurant… ils considèrent tellement cela comme un dû que cela en devient écoeurant…
Cette forme de corruption est présente à tous niveaux. Les agents de terrain se goinfrent de TA, les diplômés de bourses et indemnités de déplacement à l’étranger et même les éleveurs prélèvent leur part du gâteau ; normal! Chaque fois que vous faîtes une enquête, il faut donner de l’argent de 1 à 2 euros, deux euros aussi pour obtenir leur présence lors de discussion de groupe… la pratique la plus atypique réside dans l’accueil du nouveau venu avec des produits de la localité ; beurre, fromage, alcool…à foison. On peut penser au don et au contre don mais, lorsque l’on vous donne bien plus que ce que vous pouvez consommer, que le reste est perdu et que le contre don attendu est de la monnaie sonante et trébuchante, j’appelle cela de la vente forcée, pas du don….
Tout est relatif bien sur, il n’existe pas de pays sans corruption. Au Cameroun par exemple, c’était bien pire, les flics nous rackettaient sur le chemin du boulot… Mais, ils n’avaient pas touché leur paye depuis des mois, alors comment leur en vouloir de chercher à nourrir leur famille ? Et puis nous étions indirectement responsable de cette situtation, résultat des services publics sacrifiés à l’aune du PAS (plan d’ajustement structurel) imposé par le duo FMI / banque mondiale pour «aider » le pays à payer sa dette.Le Bhoutan n’est pas dans cette situation de carence. Il s’agit plutôt d’une société féodale où l’allégeance rémunérée « aux plus forts » s’est institutionnalisée. La commission de lutte contre la corruption a encore du chemin à parcourir…



Confusion
26 juin 2007
Je suis perdue aujourd’hui.De retour sur Thimphu, cité de lumières, après ces mois de terrainDes voitures, des boutiques et, la foule.Je suis en état de choc.Epuisante phase de collecte de données ;Je suis parvenue à traîner mes collègues sur des chemins de brumes et de brouillards,Sur les traces des yaks et de leurs éleveurs ;Difficile de les motiver, difficile de les payer, difficile de ne pas m’énerver.
Retour délicat dans mes baskets urbaines,Appréhension à la vue de l’homme blanc ;Peur de relâcher mes sentiments,De me laisser emporter par le courant.
Que reste-t-il de moi ?Un bureau volatilisé, des collègues trop occupésJe suis partie trop longtempsLe vent m’a balayée, me laissant interloquée
Que garder de toi ?Batailles sous la pluie, hordes d’insectes, nuits brèves…Des rencontres aussi, des échanges sans mots, des souriresLa découverte d’une culture, de cultures ; en voie d’extinction…Des doutes sur les démarches à suivre
Donnez-moi quelques jours et je vous raconte tout cela



Prêt-à-porter
23 avril 2007
Pour vous changer les idées après ces élections: le sourire de ma couturière favorite au Bhoutan.
Ne croyez pas qu’il s’agisse de haute couture, pas de cela ici, mais bon elle et son patron indien sont les seuls de la ville à nous offrir des choses un peu plus élaborées que le go ou la kira (tenue traditionnelle de l’homme et de la femme respectivement). C’est grâce à eux que je me protège du froid avec charme: je leur dois une veste en poils de yak coupe tibétaine que j’adore et qui est devenue ma seconde peau.
Aussi aujourd’hui, alors que je récupérais des kiras que j’avais faites transformer en « half », je l’ai laissé me montrer sa nouvelle création. Ses yeux brillaient de fierté. Malgré l’heure tardive, je ne pouvais résister. D’un tiroir de l’arrière boutique, elle a sorti son trophée… qui ne ressemblait ni plus ni moins qu’à une half kira. Mais là, quelle ne fut pas ma surprise ! La taille était ajustée et munies de velcros et de pressions pour maintenir ce qui était devenue une jupe en place !
Yes ! Je ne vais plus avoir besoin de me battre tous les matins pour faire en sorte que le pli soit bien droit, que l’écart entre les deux pans soient proche des 10 centimètres standards et que le pan intérieur ne dépasse pas celui de devant… Ce qui relevait de l’impossible avec un drap, promet de devenir un jeu d’enfant ! Peut-être qu’enfin je ne vais plus ressembler à un sac à patates !
Ma petite Yangzom venait de créer le prêt-à-porter bhoutanais ! Et moi, de lui donner plus de travail au lieu de récupérer ce que j’étais venue chercher.

Vote
22 avril 2007
Droit de chaque citoyen dont je me suis retrouvée privé aujourd’hui. Je fais partie des plus de 10000 expatriés français qui se sont vus rayer des listes électorales par le Ministère des Affaires étrangères. Jusqu’à l’article paru sur nouvelobs.com le 20 avril, je pensais être un cas isolé. Ayant fait le nécessaire pour pouvoir voter par procuration, quelle ne fut pas ma surprise de recevoir une lettre recommandée indiquant que je n’étais plus inscrite sur la liste de Nantes mais sur celle de New Delhi. New Delhi est à 4h de vol et 700€ de Thimphu où je travaille depuis 2005.
Lorsque je contacte l’Ambassade de France à New Delhi pour leur demander des explications, ils me répondent qu’ils ne peuvent rien faire pour moi ; il fallait que je demande à changer de circonscription avant décembre. Comment demander à changer alors que pour moi, j’étais toujours inscrite à Nantes ! C’est tout de même un comble, non seulement le MAE ne prolonge pas mon contrat mais il me prive de mon droit de vote !
J’ai trouvé quelques réponses grâce à l’enquête du Nouvel Obs. ; « pour cette élection présidentielle, le ministère aurait commis une erreur, en transmettant le fichier de l’ensemble des Français résidant à l’étranger à la place du fichier des seuls inscrits pour voter à l’étranger. Soit un nombre beaucoup plus important de personnes.»
Je suis rassurée cependant de voir que vous, vous êtes nombreux, très nombreux à vous être mobilisés.

En parallèle se déroulaient hier au Bhoutan les premières élections législatives. Elections fictives pour s’assurer que celles de 2008 se dérouleront sans encombre. Les Bhoutanais avait le choix entre 4 partis fictifs:

  • les jaunes, défenseurs de la culture et des traditions bhoutanaises,
  • les bleus axant leur programme sur la lutte contre la corruption et le respect des libertés individuelles,
  • les verts dont la ligne directrice est la protection de l’environnement
  • les rouges considérant le développement économique et industriel du pays comme prioritaire.

Malgré les nombreux chefs de famille qui pensaient devoir voter pour toute leur famille, le taux de participation a tout de même été supérieur à 60%. Les jaunes ont gagné haut la main mais c’est toute la Nation qui a fait un grand pas vers la démocratie.

Dégel
22 avril 2007
Ça y est, l’hiver est fini ! Vive l’été, saison des légumes et des fruits : asperges, tomates et salades ont de nouveau fait leur apparition ; ananas et pastèques aussi ; bientôt suivront les mangues plus juteuses que jamais. Le règne du choux et de la pomme de terre est en train de prendre fin ! Enfin ! Je sais qu’en France je me plains des fruits et légumes qui ont perdu toute notion des saisons : tomates sans goût de décembre, fraise de Mars… Mais je dois bien avouer que 5 mois d’hiver sans fruits ni légumes frais, c’est dur. Surtout que je n’ai pas appris, contrairement à ma grand-mère qui, elle, vit vraiment au fil des saisons, à faire des bocaux pour prolonger la vie de ces riches cultures de soleil. Alors pour survivre je me suis retrouvée contrainte d’acheter des pommes importées de Nouvelle Zélande qui arrivaient sur le marché bhoutanais à près de 4 € le kilo! L’orange de Noël n’était pas loin.
Enfin voilà je vais maintenant pouvoir me régaler. Pour quelques semaines car, bien évidemment, il ne faut pas espérer emporter ces produits plein d’eau à plus de 4000 m d’altitude. Pour moi la monotonie du régime riz - pomme de terre risque donc de se prolonger…

Chiens
19 avril 2007
Je profite d’un désagrément qui m’est arrivé ce matin pour vous initier à un fait culturel de la capitale bhoutanaise. Thimphu est une ville à chiens. Ils font ici partie du paysage. Non pas que les bhoutanais récemment devenus citadins se soient entichés d’animaux de compagnie comme leurs homologues occidentaux mais parce que, comme les rats ou les pigeons, ces commensaux de l’homme le suivent partout où il va ; se concentrent là où s’accumulent ses déchets ; dans les villes.
Le Bhoutan est par ailleurs un pays où le Bouddhisme domine ; le « respect » de la vie aussi. Tout bhoutanais qui se respecte s’assure donc que les restes de son repas finissent dans le ventre d’un chien. Il se garde bien aussi de réguler sa vie sexuelle. Jusqu’à il y a une petite dizaine d’années, la castration des animaux était taboue, elle reste aujourd’hui pratiquée de façon marginale ou du moins très désorganisée. Je ne vous fais pas de dessin ; à raison de deux portées de trois à six chiots par an, et même si le taux de mortalité est élevé, la population canine de la capitale croit au moins aussi rapidement que sa population humaine. Il y aurait à Thimphu 6000 chiens, soit un chien de rue pour 10 habitants… Presque un chien par foyer…
Sauf que ceux là, ils arpentent les rues. Ils survivent en bandes ou solitaires, plus ou moins effrayés par l’homme, plus ou moins grégaires. Imperceptibles le jour, ils font la loi du crépuscule à l’aube. Tout nouvel arrivant à Thimphu sera confronté à une à deux semaines d’insomnies tant leurs hurlements à la mort sont crispants. Ils se battent aussi, pour marquer leur territoire, pour grappiller un peu plus de reste ou se repaître d’un plus faible…
Le bhoutanais moyen, tant qu’il ne subit pas de violence familial et qu’il ne requière pas de chiens comme exutoire, respecte la vie de ces quadrupèdes. Il la respecte mais ne ferait rien pour l’améliorer. La majorité de ces animaux sont dans un état pathétique, faméliques ou dévorés par la teigne, marchant sur trois pattes, plaies ouvertes et purulentes… Est-ce le détachement prôné par le bouddhisme qui permet au bhoutanais d’accepter ce triste spectacle?
Ces chiens vivent un calvaire mais ils sont aussi dangereux pour l’homme. Du fait de leurs attaques, un enfant en bas âge ne peut se promener seul, nombre de joggers se sont laissés décourager… Après m’être faite déchirer le mollet et le pantalon ce matin, je continue d’envisager le footing mais j’avoue que je me munirai un peu plus souvent de pierres ou de bâtons… En plus, ces chiens, ils sont potentiellement porteurs de la rage.
Heureusement, je m’étais faite vacciner avant de partir. Je n’avais donc besoin que d’un deuxième booster que je suis parvenue à obtenir rapidement grâce à Marianne, notre véto protectrice des chiens qui tend à devenir mon médecin personnel ces derniers temps.

0 Comments:

Post a Comment

<< Home