



Vacances en France
10 octobre 2006
Eh oui ça y est me revoilà… J’étais en vacances, en vacances en France.
Arriver un lundi matin à Paris avec un lot de touristes américains, à rebours des travailleurs franciliens. Etrangère dans son propre pays. Se voir refuser un portable, ne pas trouver de carte téléphonique, se faire assaillir par l’abondance, agresser par les prix.
Agitation, information, consommation.
Et puis les douceurs, une vrai douche chaude, un appartement propre et chaleureux peuplé de gens qu’on aime, un déjeuner sur une terrasse ensoleillée, du poisson grillé.
Arrive ensuite la surprise camouflée jusque là par l’envie de rentrer chez soi : la valse des bonjours et des au revoirs, les échanges en coup de vent, 5 min, une heure, un week-end au mieux… 3 semaines c’est court, trop court. Je reviendrai. Vivre le présent sans penser au lendemain. Ouvrir et fermer son coeur avec plaisir.
Enfin je comprends les implications de ma vie d’expatriée. Je recolle les morceaux. Ma vie là-bas, ma vie ici. Découvrir de nouvelles cultures, aider les éleveurs du bout du monde a un prix ; vivre loin de ses amis et de sa famille. Je l‘ai choisi. Merci de vous prêter à ce jeu qui me permet d’être moi. Merci d’avoir ouvert vos portes. Plaisir de vous revoir épanouis.
Je garde vos sourires en mémoire. J’emporte des images de notre pays qui est beau même s’il se cherche. Je fais le plein de livres, autre richesse de nos contrées. Nous poursuivrons notre marche vers la sérénité, dans des univers différents mais tout en restant connectés. A très bientôt.
Idéalisme déçu
9 septembre 2006
Il y a quinze jours, fin Août donc, l’Ambassade de France en Inde me contacte en me disant que j’avais 5000€ à dépenser pour envoyer deux Bhoutanais en France pour 6 jours avant la fin décembre 2006. Ce budget au départ 3000€ pour un Bhoutanais a fait le va-et-vient toute l’année entre mon budget de fonctionnement général et l’envoi d’un bhoutanais en France, seul ne parlant pas le français. La décision est donc finalement tombée le 25 août. Rien de mieux qu’un voyage d’étude à organiser en un mois lorsque l’on est déjà surbookée, qu’on l’on habite à mille lieux des potentiels organismes d’accueil et que l’on n’a ni Internet ni appels internationaux autorisés au bureau…
Résultat la première semaine de mes vacances risque d’être bien occupée. Mais comme je suis une bonne âme, je suis prête à prendre sur moi pour permettre à mes collègues de bénéficier de l’expertise française en matière de sélection génétique et de coopératives fromagères.
J’avais quelques candidats en tête, personnes en charge des projets correspondant au Bhoutan. Mais comme j’ai finalement commencé à comprendre les méandres de la bienséance bhoutanaise, je m’en suis tout d’abord ouverte à mon boss direct puis au directeur du département d’élevage qui nous a finalement renvoyé sur le chef de la section production. A chaque étape les personnes potentielles changeaient. Je voulais discuter avec eux des potentiels candidats ; eux se voyaient candidats. Ils ont déjà voyagé dans maints pays, visité des dizaines de coopératives mais ne laisseraient leur place pour rien au monde. Comment voulez vous que les projets avancent si la connaissance reste précieusement barricadée aux mains de quelques uns ? Ceux qui devraient être des managers et distributeurs de travail, se retrouvent à faire du suivi technique au quotidien. Les projets n’avancent pas ou peu car ils sont trop peu nombreux et que le reste du personnel baille aux corneilles en leur absence. Phuntsho dairy technologist que je pensais envoyer en France pour qu’il assure le suivi technique des coopératives laitières qui prennent vie ici, est grâce à son talent de sténo, maintenu à un rôle de secrétaire !
La cerise sur le gâteau c’est que maintenant mon directeur de programme et le chef de la section production veulent se rendre en France en bon vieux copain et prendre le temps de visiter. Ils n’ont jamais eu le temps de voyager pendant leur master ! Non seulement ils prennent la place d’autres mais veulent se garder pour eux le troisième budget que je suis parvenue à mobiliser…
Du coup, malgré le verre d’ara (saké en moins raffiné) qu’ils m’ont glissé, je n’ai pas dit oui, j’ai botté en touche. J’attends leur CV et motivations pour ce voyage d’étude avant de prendre une décision. Je suis toute de même le « donneur », du moins son représentant, non ! Partagée entre l’envie de faire voyager des nouveaux pour leur donner une chance ou des anciens qui auront le pouvoir de mettre en application ce qu’ils auront découvert ; dégouttée en tout cas par le fait qu’ils grappillent tout ce qui leur passe sous le nez. Parfois j’aimerais bosser pour la section marketing dont le chef pousse les jeunes, développe leurs capacités et se réjouira bientôt d’être entouré d’une équipe compétente.
Je présume que je devrais m’estimer heureuse, d’une, que des gens comme lui existe et, de deux, que la corruption au Bhoutan se réduise à voler quelques jours au soleil.
Ici comme ailleurs
4 septembre 2006
Aujourd’hui, je suis allée payer mon loyer. Nos propriétaires la soixantaine regardaient une émission indienne, qui me rappelait le Jaques Martin de mon enfance ; le dimanche matin dans la Sarthe chez mon pépé. Je me suis toujours demandée ce qu’il trouvait d’intéressant dans cette émission, qui m’ennuyait au plus haut point. Mon pépé aime la chanson, mais il sait reconnaître une chansonnette bien sonnée d’un mièvre refrain. Non je pense que ce qu’il l’émouvait dans ce show, c’était la beauté de l’enfance, de ses promesses. S’émerveiller devant ce qu’aurait pu être sa jeunesse, lui qui aimait tant chanter ; la douceur de l’enfance.
Mes propriétaires bhoutanais semblaient eux aussi se rafraîchir au son de ces voix juvéniles. Pourtant ils restaient aveugles à la jeunesse qui les entourait : cette petite Népali d’une dizaine d’année qui essayait elle aussi de grappiller, depuis le coin de la cuisine, quelques instants de légèreté. Ils ne la voyaient pas puisque malgré son jeune âge, ce n’est plus une enfant mais une employée. La liberté n’est pas son lot.
Elle a probablement été accueillie « comme leur fille » par cette riche famille de Thimphu ; travaillant de l’aube au crépuscule, avec nourriture et paillasse pour seul salaire. Elle vient du village, parente éloignée, ou tout simplement « enfant trouvée». Ils ou elles, sont nombreux, en ville ou à la campagne, avec le travail pour seul horizon. Pour eux, pas d’école, pas de vêtements à la mode ni de portable. Juste le périmètre de la maison à nettoyer, de la cuisine au jardin. A la campagne, ils gardent souvent les vaches. Même si c’est interdit, certaines familles vont même au Sud du Bhoutan pour « recueillir » ces enfants. Ils paient une somme modique 60 €, et versent soit disant de l’argent à la famille lorsqu’elle est dans le besoin. Il faut bien trouver une main d’œuvre de substitution maintenant que les enfants sont scolarisés.
Mon pépé a connu l’absence d’enfance, il se rassérénait peut-être devant ces images d’enfant roi, enfant épargné, libre. Enfants objet pour quelques instants, ils n’en restaient pas moins des enfants alors que ma petite népalie restera esclave de son fourneau.
Retour d’un coq
28 août 2006
Aujourd’hui, j’ai fait la connaissance d’un nouveau collègue. Il travaillait au National Livestock Breeding Programme bien avant que je n’arrive mais était à l’étranger pour faire son master jusque là. C’est un vétérinaire de formation comme tout le personnel qualifié qui s’occupe du développement de l’élevage au Bhoutan. Ce qui ne va pas, d’ailleurs, sans poser de problème. Ils se préoccupent plus de santé animale que d’alimentation, d’amélioration génétique que de transformation et commercialisation des produits… Les deux objectifs de mon directeur sont par exemple de parvenir à mettre en place un réseau d’insémination animale pour les yaks et d’introduire le transfert embryonnaire au Bhoutan. Si la lutte contre la consanguinité peut justifier le premier, l’utilité du second n’apparaîtra, si tant est qu’elle apparaisse, qu’après 50 ans… Au Bhoutan, la majorité des éleveurs vivent à plus de 4 heures (et jusqu’à 6 jours) de marche de la route la plus proche, les vaches ne produisent toujours pas deux litres de lait par jour, n’ont de veau (et donc de lait) que tous les deux trois ans, la traite est toujours manuelle, la transformation artisanale et la jeunesse citadine se nourrit de produits laitiers indiens.
Ceci dit le manque de prise en compte de l’intérêt des éleveurs n’est pas l’objet du message de ce jour. Revenons-en donc à mon nouveau/ ancien collègue. Eh bien, il parle beaucoup pour un Bhoutanais. A l’écouter, c’est lui qui a tout fait, tout créé ici. Tout ce qui se met en place en ce moment _ identification, contrôle de performance, programme d’insémination animale_ ce n’est que le fruit de ses idées… S’il est vrai qu’ici, un peu plus qu’ailleurs, on travaille pour la gloire de son chef, nous en sommes tous conscients et il n’y a pas besoin d’en rajouter. Mais ce nouveau collègue, non comptant de se louer, dénigre ses collègues. Dr Dorji est peu créatif… Il va falloir qu’il partage un peu de ses idées avec lui, bien aimable à lui, histoire de redorer son blason et de sauver sa peau. Dr Dorji ne parle peut-être pas beaucoup mais au moins il sait travailler avec les éleveurs. Contrairement à ce Dr Rai qui passe son après midi à nous empêcher de bosser… Non, je ne fulmine pas mais j’ai suffisamment de travail pour ne pas avoir à avaler de telles histoires.
Et puis il va également resserrer la vis, remettre tout le monde au travail. Bien évidemment depuis trois ans qu’il est parti, comme ensorcelés, nous sommes restés paralysés. Merci de nous réveiller !
Eh dire que le matin même je demandai toute motivée mon extension à Dr Lham Tshering… Avec une grande gueule comme ça dans les pattes, il va peut-être falloir que j’y réfléchisse à deux fois.
Et mon collègue de continuer. Ah et il faut vraiment mettre l’accent sur le volet identification. Nous allons bien travaillé ensemble. Est ce que tu as beaucoup d’amis proche ?… Je serai ton ami moi.
Dis en français cette fois, car ce monsieur revient de Maison Alfort où il a achevé son DEA. J’espère que nous ne lui avons pas enseigné l’arrogance en prime…
Bol d’air
24 août 2006
Vous l’avez compris, j’aime bien courir. C’est le moyen le plus rapide que je connaisse pour se détendre après le boulot. Cependant ici comme ailleurs, les filles qui courent, cela se fait klaxonner, attaquer de remarques sexistes. Du coup, ce soir j’en ai eu mare et j’ai pris mon vélo à la place. A vélo au moins on va plus vite et l’on ne risque pas de se faire traiter de lenteur ;o u même si c’est le cas, on ne l’entend pas.
J’aime bien gravir les quelques 300 mètres de dénivelé qui conduise à la tour de télévision, « BBS (Bhutanese Broadcasting Service) tower » dans le jargon local. Pas pour la tour en elle même mais pour le sentiment d’évasion que nous procure cette courte ascension. En quelques minutes on se retrouve dans une forêt de drapeaux à prière avec une vue imprenable sur la capitale. Du centre ville encombré (Rien à voir avec Paris aux heures de pointe, mais tout de même) on se retrouve sur des hauteurs majestueusement silencieuses.
En outre, comme Thimphu est un grand village on croise toujours des connaissances sur cette balade appréciée des Bhoutanais. Kinga l’artiste et président du groupe cyclo de Thimphu, Dr Tashi ma collègue qui essaie de raffermir sa silhouette alors qu’on ne peut même pas deviner qu’elle a déjà 3 enfants, Rai qui veut compenser son affection pour la bière ou tout simplement des familles sortant leurs enfants.
Un bol d’air pour de multiples raisons. Je ne m’en prive donc pas.
Gho & Kira
20 août 2006
Comme je n’ai guère le temps d’écrire ces temps-ci, j’en profite pour vous donner un premier aperçu visuel du Bhoutan. Je commence avec l’illustration de la tenue traditionnelle que j’essaie de porter que ce soitlors du “Tshechu” (festival annuel) ou au travail avec un de mes collègues.

15 AoûtTaekwondo de mes
29 juillet 2006
Rêves, pas tout à fait car le taekwondo du Bhoutan n’a rien de la richesse du Taekwondo que maître Guy nous enseignait en France. Ici pas de coup de poing, très peu de blocage, très peu de poomse si ce ne sont des gestes sans précision ni puissance, pas de self-défense. Pas de yop chagi (coup de pied latéral) mais beaucoup de dollyo chagis, coups de pied circulaire qu’ils n’hésitent à couper court au détriment de leurs genoux. En France nous apprenions à nous défendre en respectant notre corps, ici, ils se servent de leur jambes pour marquer des points. Ils pratiquent un sport et prennent le risque d’être cassés à 30 ans ; à Paris nous nous instruisions à la source coréenne du Kukkiwon qui forment des maîtres d’agilité, de flexibilité et de puissance même au delà de 70 ans.
Une gamme restreinte certes, mais considérant mon niveau de départ, un espace amplement suffisant pour progresser. Déplacements, équilibre, enchaînements. Et apprendre c’est ce que j’aime au Taekwondo. Rien de tel pour renaître après une journée de boulot, que de se glisser dans un nouveau système de valeur, d’utiliser une autre langage, de former son corps et son esprit. Assez paradoxalement j’apprends plus maintenant qu’en France où j’avais un vrai maître mais l’esprit ailleurs. A croire que je n’avais pas trouvé la vie qui me convenait.
Ici au Bhoutan je m’entraîne avec l’équipe nationale. Je sais, cela peut sembler ronflant mais il s’agit d’une simple conséquence du contexte local. Du sport, les Bhoutanais en font à l’école à l’université et puis après, plus rien. Les structures sont inexistantes à l’exception de quelques terrains de foot en pente, d’une salle de gym et bien sur, des sacro saintes cibles de tir à l’arc, sport national. Donc, si ni le tir, la muscu ou le foot ne vous tentent, il ne vous reste pas d’autre alternative que de vous joindre à une des équipes nationales… Bien sur certains expats ont des maisons tellement grandes qu’ils peuvent se payer des profs privés et pratiquer tout ce qu’ils veulent chez eux mais, même dans un pays en voix de développement, me payer un professeur particulier est au dessus de mes moyens… Et puis surtout, ce serait passer à côté de l’esprit d’équipe d’un Dojan, essentiel à la transmission des savoirs et à l’émulation collective.
Dès mon arrivée au Bhoutan, j’ai été admirablement accueillie par cette équipe, aussi bien par ses membres que par ses entraîneurs. Je leur ai demandé où je pouvais faire du taekwondo. Ils me rétorquent « viens demain à 6h en tenue ». « Non mais, je veux dire du taekwondo pour débutant… Ah ça c’est plus difficile… mais nos ceintures noires t’aideront. » Me voilà donc le jour suivant à l’entraînement. Seule bleue dans ce monde noir. Un boulet ambulant! Certes j’ai quelques bases, je ne suis pas tout à fait perdue mais qu’est ce que je suis lente ! Pourtant ils m’accueillent avec chaleur, se relayant pour faire les exercices avec moi, me montrant comment me déplacer, garder mon équilibre, ne pas me laisser emporté par ma jambe après un coup de pied mais revenir aussitôt en position, prêt à répliquer. Le capitaine de l’équipe Kussun, une vingtaine d’années enseigne avec une intelligence rare. Tout comme ma ceinture noire préférée, il sait percer à jour les mouvements, les décortiquer, les expliquer avant de les enchaîner plus rapidement que l’éclair. Kussun a une patience d’or et une autorité de fer.
Dès mes premiers jours au Bhoutan je m’étais trouvé une nouvelle famille. Consciente du privilège qu’on me faisait en m’ouvrant si rapidement le cœur du Bhoutan, je me suis disciplinée venant autant que mon boulot me le permettait… jusqu’à l’absence.
Le plus extraordinaire c’est qu’ils m’ont donné une deuxième chance. Il y a une dizaine de jour, quand j’ai approché l’instructeur, balbutiant que j’aimerais essayer de nouveau, il m’a dit « bien sur, viens demain ». Alors que pendant près de 10 mois, je ne leur ai pas rendu visite une seule fois _certes j’avais une cheville boiteuse mais cela n’aurait pas du m’empêcher de rester amicale _, ils me saluent comme si ils m’avaient vu la veille. Loin de me faire jeter, je me suis faite choyer !
Une complicité qui se crée, une expérience partagée, ne vaut-elle pas toute l’excellence technique du monde ? Un rêve de taekwondo, donc.
Doma, quand tu nous tiens
26 juillet 2006
Il y a des jours où le sommeil reste accroché à vos guêtres. Parce que l’on s’est couché tard, parce la nuit fut peuplée de questionnements ou de rêves agités, on n’arrive pas à sortir d’un état de torpeur.
C’était mon cas aujourd’hui.
Alors, lorsque l’on m’a proposé une doma après le déjeuner. Je n’ai pas pu refuser. Là où je travaille, à 12 km de Thimphu, les distributeurs de café ou de thé sans sucre ni lait sont inexistants. La seule alternative est donc de se la jouer local et de se mettre à la noix de bétel (Areca Catechu).
Très appréciée des bhoutanais, elle décore les rues de Thimphu de ses multiples taches rouges. Les accros se voient en effet parfois contraint de cracher les grandes quantités de noix qu’ils se sont enfournés sans pouvoir les avaler. La doma s’affirme aussi dans les sourires rouges et édentés qui vous accueillent partout où vous allez ainsi que dans les odeurs fortes _certains dirons de pet de yak_ qui vous assaillent dans toute boutique de quartier.
L’ « arbre à doma » est un palmier plante tropical, qui pousse un peu au sud du Bhoutan mais aussi et surtout en Inde. La doma est donc majoritairement importée, de même que la feuille, chaux et les épices _ si vous vous la jouer gourmet_ avec laquelle vous la consommer. On coince tout cela dans le coin de sa bouche (ce qui vous confère très vite une allure de hamster) et on l’on mâche tant que l’on peut. La noix est en effet très dure. Si on a de la chance, la noix finit par se fendre en deux puis par se fragmenter en mille morceaux devenus alors comestibles.
Pendant mon voyage sur le terrain, j’avais pris l’habitude de manger des quarts de doma. La doma présente en effet certaines vertus pour résoudre ou prévenir les cas de constipation, ce qui est appréciable lorsque l’on se doit de manger du riz matin, midi et soir… Le quart de doma après ce mois de terrain, je maîtrise. En l’absence de fruits et de légumes verts, la feuille verte ou « pane » qui entoure la doma semble même délectable…
Mais aujourd’hui sans moyen de couper ma demi noix en deux (mes dents ont déjà trop souffert en servant de casse noix), je me suis laissée tenter par la portion normale. Résultat jambes flageolantes, mains tremblantes, bouffées de chaleur. Bien loin de me tirer de mon nuage de sommeil me voilà plonger en son cœur, avec une seule envie m’allonger !
Et dire que certains Bhoutanais en consomment plus de 20 par jour (au point que l’on s’en serve comme exemple pour démontrer la capacité d’épargne des agriculteurs) et que d’autres recherchent ses effets combinés avec ceux du tabac.
Quelle petite nature je fais !
Bal masqué
23 juillet 2006
Non, je n’étais pas à Venise en ce samedi soir de juillet. Mais la sensation que mes partenaires avaient laissé leurs blocages au vestiaire était, elle, bien présente. Quelle fut l’origine de cette nuit de folie ?
Au départ, juste l’envie d’inviter à dîner les 4 membres de mon équipe “analyse filière”. Ils ont en effet bossé sans broncher ou presque pendant tout un mois de terrain, chose rare au Bhoutan où la culture du solitaire est fortement ancrée dans la fonction publique. En outre nous avions passé 4 semaines agréables marquées par une certaine complicité. Après avoir vécu à l’heure bhoutanaise pendant 1 mois, je voulais leur faire découvrir un peu de ma culture en les invitant à manger des pâtes ou pizzas dans l’unique restaurant occidental de Thimphu. Les trois membres masculins de l’équipe s’étant défilés les uns après les autres, j’ai invité deux autres de mes collègues et nous nous sommes offertes une soirée entre filles.
Elles que je vois tous les jours au boulot en « kira » sont arrivées en jeans ou pantalons serrés ; une première surprise.
La « full kira» c’est une pièce de tissu d’un mètre cinquante de large pour 3 mètres de long dans laquelle on s’emmaillote. Ajouté à l’ « anjou » sorte de chemise sans bouton et au « tego » veste sans bouton non plus, que l’on ferme avec des épingles à nourrice (pour moi) avec des broches toutes plus kitch les unes que les autres pour les bhoutanaises urbaines. La kira c’est la tenue traditionnelle du Nord Ouest et du Centre du Bhoutan maintenant reconnue comme tenue nationale ; tenue obligatoire que les Bhoutanaises se doivent de porter non seulement pour aller au travail mais aussi pour sortir dans la rue. Si à Thimphu on tolère les pantalons après les horaires de boulot dès que l’on sort de la capitale on encoure le risque de se prendre une amende pour une pareille faute. Les « vraies bhoutanaises (celles du nord) » se sentent parfois étouffées par cette tenue, qui vous fait rapidement ressembler à un sac à patates si vous n’êtes pas toute fine et juchée sur des talons aiguilles. Imaginez alors ce qu’il en est pour les Bhoutanaises du sud pour lesquelles ce n’est pas la coutume et qui vivent sous un climat qui transforme rapidement la kira en engin de torture. Lorsqu’il fait chaud, la « kera », ceinture dont on s’entoure étroitement, vous mord littéralement la taille. Je porte encore les marques de mon passage dans le sud il y a une semaine…
Mais revenons en à l’objet du jour, un samedi soir à Thimphu, capitale du Bhoutan.
Après avoir picoré nos pizzas _ mes collègues font très attention à leur ligne_, nous nous sommes dirigées vers la boite de nuit dans laquelle se tenait ce soir là une soirée caritative au profit de l’association bhoutanaise de défense des droits des femmes, RENEW.
Après avoir attendu que d’autres amies nous rejoignent, nous nous dirigeons vers les toilettes pour se refaire une beauté. Pas effrayées par l’odeur suffocante, elles nous enferment toutes dans ce bloc puant. En effet pendant que certaines se font belles, d’autres doivent tenir la porte bien close… Ce soir là, Sonam m’accompagnait. Sans avoir le temps de réaliser, me voilà entourer d’un concours de nudité. C’était à qui auraient le moins de tissu sur le corps ! Des pantacourts aux jupes ras la moule sans compter les t-shirts au décolleté plongeant. Un vrai festival de couleur. Tenues formées avec plus ou moins de goût _à leur décharge, il faut dire que les vêtements de type occidental qui nous arrivent à Thimphu sont bien souvent à la limite du vulgaire. Mais, de toute façon, la question ce soir n’est pas de savoir ce qui va avec quoi mais de montrer son corps autant que faire se peut. Corps jeunes et élastiques qui se satisfont mal d’être opprimés en permanence par cette kira qui les couvre du cou aux poignets et aux chevilles. Ce samedi était donc une soirée de libération, libération au son de la musique Hindi. Danser toute la nuit, jouer aux femmes fatales comme les actrices des Bollywoods qui nourrissent ici l’imaginaire. Les pères et les frères donneurs de leçons étaient ce soir oubliés.
De RENEW nous n’avons guère entendu parler mais les corps de femmes se sont exprimés. Un peu de prévention ne serait cependant pas inutile pour certaines de ces filles venues des campagnes qui risquent de damner leurs âmes au plaisir de la consommation et du tape-à-l’œil.
Bhoutan, entrée bienheureuse
22 juillet 2006
Le Bhoutan est en effet le pays où je vis et je travaille depuis fin février 2005.
Le Bhoutan est un royaume Bouddhiste de 47 000 km² pour 553 000 habitants qui vit un période cruciale de son histoire. Après s’être volontairement isolé jusque dans les années 70, il fait aujourd’hui le pari de s’insérer dans le monde sans perdre son âme.
Vivant encore sous un régime féodal jusque dans les années 50, le pays figure aujourd’hui au deuxième rang de l’Happy Planet Index, index développé par l’anglaise « New Economic Foundation » et qui prend en compte le degré de satisfaction des habitants, leur espérance de vie ainsi que l’empreinte écologique de la nation. Loin des comparaisons comptables du GDP, il s’agit ici d’estimer la capacité d’un pays à générer durablement des vies longues et heureuses. La France se contente du 129ème rang ; un peu mieux que les Etats Unis (150ème) certes.
Trois rois éclairés ont mis le Bhoutan sur ce chemin ; réforme agraire, reforme de la justice, décentralisation, maintien du couvert forestier à plus de 60 % de la surface nationale, bonne gouvernance, plans quinquennaux de développement. Le roi actuel, Jigme Singye Wangchuck, semble (même si je n’ai jamais eu la chance de rencontrer) bien au dessus de la moyenne. Il a commencé à gouverner son pays à 17 ans, ses pairs le jugeant tellement sage qu’ils estimèrent une régence inutile. Père du concept de Growth National Happiness dont les 4 piliers sont la croissance économique et le développement certes, mais aussi la préservation et promotion de la culture, la préservation de l’environnement et la bonne gouvernance. Roi tant apprécié et vénéré qu’il a plongé son pays dans la tristesse et le doute en annonçant le 17 décembre dernier qu’il souhaitait transmettre le trône à son fils en 2008. Ce garant du bonheur des Bhoutanais qu’il a doté d’un système éducatif et de santé gratuit estime que son pays est prêt pour la démocratie. Il l’a parcouru ces derniers mois expliquant à ses ouailles que la démocratie leur permettrait de se choisir de bons dirigeants, ce qu’une monarchie ne garantit pas. Oui mais lorsque l’on a bénéficié d’un roi extraordinaire pendant 34 ans, il est difficile de le laisser partir…
En outre, la démocratie recèle de nombreux challenges pour ces Bhoutanais qui ne disent jamais non et respectent tant l’autorité qu’ils ont du mal à prendre des responsabilités. Dans les communes rurales, les membres d’une même famille sont souvent obligés de répartir leur voix pour ne froisser aucun des leaders qui se présentent aux élections «des autorités départementales » (Geog Yargye Tshogchung)… Le risque est donc de voir les grandes familles qui se partagent déjà l’exploitation des ressources du pays, s’entre-déchirer pour le pouvoir. Mais si une personne aussi éclairée que le roi estime que son pays est prêt, j’ai envie de lui faire confiance.
Voilà une entrée parmi tant d’autres sur ce pays attachant que j’essaierai de vous faire découvrir dans les prochains postes.
Pas de deux
18 juillet 2006
Aujourd’hui, je suis comme une chenille qui hésite entre retourner dans sa vielle coquille ou former sa chrysalide.
Je reviens d’un mois de terrain, expérience totale de l’altérité, mais aussi et surtout rencontre avec le travail que j’aime et une personne en devenir.
Je n’ai pas vu d’occidentaux pendant plus d’un mois et je ne sais pas si j’ai envie de passer le restant de ma vie avec celui qui m’attend à la maison.
Tout est une histoire de parcours personnels et de difficulté à les combiner pour former un couple. Depuis que j’ai rencontré mister G j’ai changé. Les tourments de l’adolescence et questionnement existentiels se sont éloignés. Toujours présents, ils ne déferlent plus comme par le passé, m’épuisant et me privant de toute mobilité.
Je suis maintenant plus sure de mes choix, de mes différences, de mon identité. Est ce que je peux continuer à partager la vie de celui qui m’a vu abattue par les évènements ? Probablement, si nous avons toujours les mêmes philosophies de vie et aspirations pour le future… Plus difficilement si je veux suivre ma route et qu’il ignore toujours la sienne. L’avenir nous dira si notre expérience sera plus que Bhoutanaise.
Mais une impression s’impose, je suis à l’entrée d’une nouvelle ère, toujours bourrée de doutes je pose néanmoins mes pieds avec plus d’assurance sur le sol de la vie ; bien consciente qu’on ne vit qu’une fois et pour combien de temps personne ne sait. Les démons sont toujours là. Me rendant hésitante et rougissante parfois, ils me donnent aussi l’énergie d’avancer.
18 juillet 2006
Envers monde, parce que parfois lorsque je vous lis j’ai vraiment l’impression de vivre dans un autre monde. Alors que vous devenez des grands avec vos boulots respectables et rémunérateurs, vos apparts et même pour certains vos familles, je poursuis ma petite vie d’étudiante. Etudiante parce que je suis loin d’avoir les sous pour m’acheter un appart mais aussi parce que ma principale activité est l’apprentissage. Comme tout le monde me direz vous. Peut-être, tant mieux alors, car je pense vraiment que c’est une chance de pouvoir m’enrichir tous les jours, de découvrir de nouvelles façons de penser, même si tenter d’interagir avec un environnement étranger réserve son lot de frustrations.
Un blog donc parce que même si je vis sous d’autres cieux, vous êtes toujours ma famille de cœur et d’esprit. Et j’aimerais bien, si possible, continuer à faire parti de vos vies présentes.
Mon amie du Tae kwon do, qui a franchi mers et montagnes pour venir me voir, m’a donné le déclic. Grâce à elle, j’ai non seulement repris conscience de mes racines, de qui je suis mais aussi du fait que ce n’est quand même pas si difficile que cela d’avoir un cybernétique chez soi (techniquement du moins, pour l’inspiration l’avenir nous le dira) et puis c’est franchement convivial. Avoir un bout de ma vie, un aperçu du Bhoutan du coin de votre pause café, cela vous dit ?
Quant au titre de ce blog ne cherchez pas. Ce n’est guère français mais cela sonnait doucement à mon oreille ; et comme je ne suis pas une perfectionniste, je n’ai pas cherché plus loin. Envers monde donc ou monde envers.
Je n’avais pas la prétention d’appeler ce blog « A l’usage du Monde » même si j’ai énormément apprécié le bouquin (Merci Nouk). Je n’ai jamais eu les sens suffisamment acérés pour déchiffrer le monde, ni le courage de le laisser construire le fil de ma vie. Mais j’ai néanmoins choisi la confrontation et l’échange avec l’autre. Dans ce blog, je tenterai donc de vous faire découvrir un peu de ce pays attachant tout en vous faisant partager mes doutes et coups de cœur du quotidien. Un mélange d’envers monde et d’envers vous, donc, dans l’espoir d’égayer votre pause café et de susciter quelques messages en retour.
Bisous et bien à vous.